Récit et photographies argentiques de ma Grande Traversée du Vercors par les Hauts Plateaux, au creux d’un hiver déjà presque printanier.
Un mercredi matin de janvier, j’enfourchais mon vélo et traversais Grenoble comme chaque jour, or ce matin là il était plus tôt que d’habitude et j’avais sur le dos un sac plus lourd que d’habitude. À la gare routière, j’ai pris le bus de 7h50 comme on prend le bus sans anecdote.
Trente minutes plus tard, je suis la seule à en descendre. Par un chemin communal, je m’élance alors dans la Grande Traversée du Vercors du Nord au Sud, qui s’entame par sa plus grande ascension : le Moucherotte. Ma décision avait été prise quarante-huit heures plus tôt. Me voilà partie pour quatre jours en raquettes et en autonomie.
J’ai dans mon sac quatre jours de nourriture et d’équipement pour gérer le froid, l’orientation, la sécurité, l’hydratation et le sommeil pour la modique somme de 20kg.
Dans le parc sont disséminés des abris : des petites cabanes non gardées, équipées d’un poêle à bois, d’une table et d’un plancher.
Ma traversée a représenté exactement 102km, parole de traceur GPS, et quelques 3000m de dénivelé positif sur le GR91 et ses détours, depuis Saint-Nizier-du-Moucherotte jusque Châtillon-en-Diois.
Faire cette traversée seule en hiver, c’est laisser peu à peu la tension de la ville derrière soi et s’imposer un isolement total en entrant dans la réserve. Loin de toute habitation, route ou réseau de communication, se réduire à un corps et un esprit qui avancent lentement dans l’espace et le temps.
J’aimerais dire l’intensité intérieure d’une telle expérience pourtant si courte, l’observation de ce qui résiste à la photographie. Je garde comme une chose dense au creux de mon être le souvenir de la nuit qui tombe sur une longue journée encore inachevée. Les repères qui s’effacent dans l’obscurité. L’égarement, alors la concentration qui s’aiguise. Le froid de la nuit qui se dépose encore, et le Grand Veymont qui apparaît au sortir d’un bois sous un ciel d’étoiles. La peur et la joie en même temps. Le silence. La solitude aigüe et enfin, quelques heures après la fin du jour, la cabane que je venais chercher.
La porte est grande ouverte à la nuit, le vent s’est levé, l’abri accueille mon corps et mon esprit, éprouvés d’égal à égal.
Le soleil revient après une nuit venteuse où je crois entendre un loup, le corps couché sur le plancher, l’esprit au milieu des montagnes. L’esprit couché sur le plancher, le corps au milieu des montagnes. Se remettre en mouvement, poursuivre la route, rencontrer d’autres bifurcations et laisser derrière soi.
J’avais mis dans mon boîtier une pellicule Ilford Pan 400 dont je n’attendais pas un tel grain, mais je dois dire que j’aime l’opacité qu’il ajoute à ces tribulations sans temporalité.